La juridiction administrative a été fortement critiquée après sa naissance par les libéraux au XIXème siècle. Ceux-ci y voyaient un danger pour la sécurité des individus face à l’administration.

Cette crainte se justifie-t-elle encore de nos jours ?

Définition des concepts

 

 

Juridiction administrative : ensemble d’organes (tribunaux, cours, chambres) chargés de régler les litiges opposant l’Etat ou ses démembrements aux particuliers. Ex : la Chambre Administrative de la Cour Suprême au Cameroun ; le Conseil d’Etat et Tribunaux Administratifs en France et bientôt au Cameroun.

Administration : ensemble des services publics et des personnes physiques ou morales qui agissent au nom de l’Etat.

Libéraux : ce sont les penseurs qui ont contribué, à partir du Siècle des Lumières, à faire émerger un curant de pensée favorable à la liberté individuelle face à l’absolutisme monarchique.

Sécurité : garantie des libertés et de l’intégrité des individus

Rappels historiques

Contrairement au système anglo-saxon, qui soumet tous les sujets de droit interne à un seul et unique type de juridiction, le système français dont a hérité la plupart des anciennes colonies de la France en Afrique, a mis en place deux ordres de juridictions séparés destinés l’un (juridiction judiciaire) à résoudre les conflits s’élevant entre les particuliers, et l’autre (la juridiction administrative) chargée de connaitre uniquement des litiges qui peuvent opposer ces derniers à l’administration.

Ce deuxième ordre de juridiction, qui a été formalisé à la fin du 18ème siècle, notamment lors de la Révolution française (1789-1790), a suscité la colère des libéraux qui estiment que cette approche était non seulement contraire au principe de la séparation des pouvoirs cher à Montesquieu, mais également qu’elle constituait une menace pour la sécurité des individus.

La pensée libérale fustige le règne de l’omniprésence de l’Etat qualifié d’oppresseur et accordant des privilèges à la bourgeoisie. Les révolutionnaires de 1789 vont prôner à la suite de Locke et de Montesquieu, la séparation des pouvoirs pour garantir la liberté des citoyens. La juridiction administrative, parce qu’elle est le juge de l’Etat c'est-à-dire celui qui est compétent pour connaitre de la responsabilité de l’administration lorsque celle-ci est mise en cause dans un litige, et qui applique les règles définies par l’Etat lui-même, ne permet pas de garantir au mieux la protection des individus face à l’Administration et par conséquent, de s’assurer de sa neutralité et son équité.

Cette inquiétude somme toute fondée, peut se vérifier à travers le processus d’institutionnalisation de la juridiction administrative marquée par un certain nombre de textes qui confortent la crainte des libéraux.

  • L’édit de Saint Germain de février 1641.
  • La loi des 16-24 août 1790, sur l’organisation judiciaire dispose en son titre II article 13 : « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les Administrations pour raison de leurs fonction ».
  • La loi du 16 fructidor au III « défense itérative sont faites aux tribunaux de connaitre des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».
  • La constitution du Frimaire an VIII (15 décembre 1789) qui institue le conseil d’Etat
  • La loi du 28 pluviôse au VIII qui crée un conseil de préfecture.

La création de la juridiction administrative s’est faite en deux temps. D’une part, par la justice retenue le Roi a pendant longtemps tranché lui-même les litiges administratifs en tant que supérieur hiérarchique de l’une des parties. D’autre part, par la justice déléguée à travers le Conseil d’Etat, qui devient par la loi de 27 juillet 1872 un organe juridictionnel, que confirme l’Arrêt CADOT de 1889 qui fait du Conseil d’Etat le juge de droit commun en premier ressort de l’ensemble du contentieux administratif.

Cette évolution est donc marquée par l’affranchissement progressif de la juridiction administrative du joug de l’Administration.

 

Problématique

 

La création de la juridiction administrative, émanation de l’Administration active et chargée de juger cette même Administration a suscité dès l’origine, de vives critiques des libéraux. Dès lors, la question est de savoir si les appréhensions manifestées à l’origine sont encore d’actualité ? Autrement dit, la juridiction administrative constitue-t-elle une menace pour la liberté et la sécurité des citoyens ? Au mieux, la juridiction administrative permet-elle aujourd’hui de garantir la sécurité des individus face à l’administration ?

Annonce du plan

 

La juridiction administrative s’affirme aujourd’hui comme le garant de la sécurité des citoyens (I). Toutefois, la persistance de certaines pesanteurs limite son action (II).

I-       La juridiction administrative s’affirme aujourd’hui comme le garant de la sécurité des citoyens

A-    La consolidation progressive de l’autonomie de la juridiction administrative

1-      Au plan organique

  1. La consécration textuelle de la juridiction administrative
  • En France, depuis la loi du 27 juillet 1879, le Conseil d’Etat est un organe juridictionnel, qui statue souverainement sur les recours en matière de contentieux administratif et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées contre les actes de diverses autorités administratives.
  • Au Cameroun, l’autonomie du Conseil d’Etat du contentieux administratif est consacré par le décret du 8 juillet 1952 ;
  1. La consécration jurisprudentielle de l’autonomie de la juridiction administrative

Cette consécration est marquée en France par l’arrêt CADOT du Conseil d’Etat du 13 décembre 1889. par cet arrêt, le Conseil d’Etat est reconnu comme juge de droit commun en premier et dernier ressort des recours en annulation contre les collectivités publiques.

  1. Un statut reconnu et protégé du juge administratif.

2-      Au plan matériel

  1. L’accoisement textuel des compétences de la juridiction administrative
  • En France, la juridiction administrative a suivi deux importantes réformes. D’une part, celle de 1953, qui a vu la création des tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat devenant ainsi une juridiction d’appel. D’autre part, la réforme di 31 décembre 1987, à travers laquelle on assiste à la création des cours administratives d’appel.
  • Au Cameroun, l’étendu des compétences de la juridiction administrative est déterminée par l’article 9 de l’ordonnance n°73-6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême. Avec la constitution de janvier 1996, la Chambre administrative connait de l’ensemble du contentieux administratif de l’Etat et des autres collectivités publiques. La loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 sur les tribunaux administratifs o introduit d’autres réformes extrêmement importantes qui se feront plus visibles avec l’entrée en fonctionnement de ces structures.
  1. L’accroissement jurisprudentiel des compétences de la juridiction administrative
  • En France, cet accroissement est surtout l’œuvre du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits, qui au fil du temps, ont clarifié les compétences dévolue au juge administratif à travers une multitude de décisions :

-   T.C. 8 février 1873, BLANCO. Le juge contentieux contractuel des collectivités locales est incorporé au contentieux administratif ;

-   C.E. 6 février 1903, TERRIER. Le contentieux contractuel des collectivités locales est incorporé au contentieux administratif ;

-   T.C. 29 février 1908, FEUTRY. Compétence de la juridiction administrative pour connaître des actions mettant en cause l’organisation et le fonctionnement d’un service public ;

-   C.E. 4 mars 1910, THERON. Tous les contrats conclus par l’Administration dans but d’intérêt général, sont des contrats administratifs et les litiges nés de leur exécution sont de la compétence de la juridiction administrative.

  • Au Cameroun également quelques arrêts méritent d’être cités :

-   CFJ/CAY, 19 Mars 1972, MBEDY Norbert. Compétence de la juridiction administrative pour le recouvrement d’une créance privée;

-   Arrêt OBOMA ETEME Joseph.

B- Le développement des procédures et principes protecteurs des droits des particuliers

1-      Au plan textuel

  1. La phase du recours gracieux préalable n’est pas exigé pour certains types de contentieux notamment le contentieux de certaines libertés publiques :
  • Loi n°90-53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association. Art. 13 al. 3 ;
  • Loi n°90-56 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques. Art. 13 al. 3 ;
  1. Les procédures d’urgence : le sursis à exécution – le référé administratif.

2-      Au plan jurisprudentiel

La systématisation du principe des droits de la défense.

II- Toutefois, la persistance de certaines pesanteurs limite l’action de la juridiction administrative

A- Les limitations d’ordre organique

1-      La désignation des magistrats de l’ordre administratif par le Président de la République et la gestion de leur carrière par le Conseil Supérieur de la Magistrature.

2-     La présence du Ministre public au cours de certaines procédures au Cameroun, appelé à donner des avis conformes à l’occasion du référé administratif et du sursis à exécution.

3-     En France, la double qualité de Magistrat et de Conseiller du juge administratif

4-     La centralisation de la juridiction administrative à Yaoundé en attendant la création des tribunaux administratifs prévus par la Constitution de 1996 et organisé par la loi de 2006 sur les tribunaux administratifs.

B- Les limitations d’ordre fonctionnel

1-      L’exigence du recors gracieux préalable avant l’introduction de tout recours juridictionnel (articlé 17 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 ;

2-      L’application de la loi écran ;

3-      Les validations législatives ;

4-      Les actes gouvernement ;

5-      Les circonstances exceptionnelles ;

6-      L’absence d’injonctions et d’astreinte notamment au Cameroun ;

7-      L’engorgement des juridictions administratives source de lenteur procédurales ;

8-     La complexité des procédures contentieuses que ne maîtrisent pas toujours les citoyens et même des initiés (Cf. Affaire Paul Simon PONDY ou Mbouendeu Jean de Dieu).

Conclusion 

            En dehors du juge administratif qui s’est affirmé au fil du temps, comme garant de la sécurité des individus face à l’administration, il faut relever que d’autres juridictions et mécanismes existent et jouent un rôle tout aussi efficace dans la protection des droits et libertés.

            On peut citer notamment :

-                      le juge judiciaire ;

-                      le juge constitutionnel ;

-                      le juge des comptes ;

-                      les juridictions pénales internationales ;

-                      Les autorités administratives indépendantes ;

-                      Les ONG et associations, etc.

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