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Catégorie : Sujets corrigés de droit administratif

Intérêt et qualité pour agir en matière de recours dans le cadre du recours pour excès de pouvoir

Définitions des termes 

 

Intérêt pour agir :

Condition de recevabilité de l’action consistant l’avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge de la légitimité de sa prétention. Le défaut d’intérêt d’une partie constitue une fin de non recevoir que le juge peut soulever d’office.

Qualité pour agir :

En règle générale, le pouvoir d’agir n’ayant pas été réservé par la loi à certaines personnes, appartient à tout intéressé, c’est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d’intérêt direct et personnel. La qualité se confond alors avec l’intérêt. Au contraire, lorsque la loi a attribué le monopole de l’action à certains, seules les personnes qu’elle désigne ont qualité pour agir.

Recours pour excès de pouvoir :

Recours juridictionnel dirigé, en vue de les faire annuler pour cause d’illégalité, contre les actes unilatéraux émanant soit d’une autorité administrative, soit d’un organisme privé agissant dans le cadre d’une mission de service public .On distingue traditionnellement quatre cas d’ouverture de ce recours : l’incompétence de l’auteur de l’acte, le vice de forme affectant des formalités substantielles, le détournement de pouvoir, la violation de la loi (comprise entre l’illégalité relative aux motifs ou à l’objet même de l’acte) ou des règlements .

Le recours pour excès comprend trois variantes :

-Le recours en annulation

-le recours en appréciation de la légalité ;

-le recours en déclaration d’inexistence

Problématique

Quelle est la place de la qualité et de l’intérêt en matière de recours pour excès du pouvoir ?

L’Etat de droit, qui, à la différence de l’Etat de police, postule la soumission de l’Etat au droit, implique notamment le principe de légalité en vertu duquel l’activité de l’administration doit être conforme au droit.

Un intérêt indéniable de ce sujet est lié à la vocation du Cameroun d’être un Etat de droit au sens où l’ensemble des activités des citoyens et des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaire est soumis aux règles de droit. En particulier, la justice administrative est dominée par le contentieux de l’excès de pouvoir qui révèle que la plupart des recours sont rejetés au stade de l’examen de la recevabilité.

En plus de la capacité, de l’intérêt et de la qualité pour agir, d’autres conditions plus objectives doivent être réunis pour accéder au juge administratif. Il s’agit notamment du recours gracieux préalable et de l’acte faisant grief.

En ce qui concerne la règle du recours gracieux préalable, la loi sur les tribunaux administratif dispose en son article 17 que le recours devant le juge administratif n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux préalable adressé à l’auteur de l’acte ou a celle statutairement habilité à représenter la collectivité ou l’établissement publique en cause ;

-   Le juge apprécie la validité du recours gracieux préalable au regard de l’autorité du recours gracieux préalable au regard de l’autorité adressataire, du respect des délais, de l’identité d’objet entre le recours gracieux préalable et le recours contentieux ;

-   Le recours gracieux préalable est un moyen d’ordre public, en ce sens que sa violation peut être invoqué non seulement par les parties au procès ou soulevé d’office par le juge CS/AP), arrêt n°6 du 31 mars 1998, dame Mengong Marguerite c/Etat du Cameroun).

En ce qui concerne l’acte faisant grief

-   l’acte faisant grief est celui qui modifie l’ordonnance juridique, en ce sens qu’il porte atteinte à un intérêt personnel protégé par la loi (cf. CE, A, 17 février 1950, ministre de l’Agriculture c/Dame Lamotte) ;

-   en l’absence d’un acte administratif faisant grief, tout recours pour excès de pouvoir, c'est-à-dire visant l’annulation d’une décision irrégulière sera déclaré irrecevable devant le juge administratif (cf. affaire Sende Joseph c/Etat du Cameroun ;

-   ne constituent pas les actes faisant grief, les mesures conservatoires ou préparatoires, les avis sans indice sur la portée juridique des actes et les procès verbaux de commission consultatives lorsque celles-ci ne sont pas les autorités investies du pouvoir de décision.

Annonce du plan

A la réflexion, il apparait que la qualité du requérant et l’intérêt pour agir sont deux des conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir (I). Le non respect de ces deux conditions cumulatives du recours pour excès de pouvoir est sanctionné par une irrecevabilité du recours qui est d’ordre public (II).

I-     L’intérêt et la qualité pour agir : conditions essentielles de recevabilité du recours pour excès de pouvoir

Pour être jugé au fond, le recours doit être porté devant le tribunal compétent et surtout être recevable. Parmi les conditions de recevabilité, nombreuses et varièes du recours pour excès de pouvoir, figurent l’intérêt et la qualité à agir du requérant. C'est-à-dire qu’un requérant doit réunir ces conditions en même temps pour que le juge accepte d’examiner son recours. Il faut signaler qu’en plus de ces conditions, on a la capacité à agir, qui signifie l’aptitude légale à rester en justice (elle est notamment requise pour les personnes physiques tout comme l’existence légale pour les personnes morales) (cf. CCA arrêt n°665 du 25 Octobre 1957, Kamdem Niniym Pierre c/Etat du Cameroun).

Nous allons examiner les deux conditions soulevées dans le sujet à savoir : l’intérêt à agir (A) et la qualité pour agir (B).

A-    L’intérêt à agir

Dans le contentieux de l’excès du pouvoir, seule est recevable la requête introduite par une personne qui a intérêt à obéir l’annulation de l’acte querellé. Ceci signifie que le requérant doit justifier que l’exécution de la décision qu’il soumet au juge de l’excès de pouvoir lui cause un tort ou une lésion particulière à caractère individuel et que l’annulation de l’acte attaqué va lui profiter.

Ainsi, l’intérêt à agir s’analyse comme étant l’avantage pécuniaire ou morale qu’espère obtenir un requérant en engageant son action devant le juge (cf. jugement n° 8/CS/CA du 29 Novembre 1979, Mbouendeu Jean de Dieu et Elites banka c/Etat du Cameroun).

Cet intérêt à agir peut être individuel (c’est le cas le plus courant) (1), mais il peut également être collectif (2).

1-      L’intérêt à agir des personnes physiques

-   Il doit être en ce sens qu’il existe entre le requérant et l’acte attaqué de véritables relations personnelles et, à ce titre, un citoyen peut toujours attaquer un acte le concernant directement et lui faisant grief, quelque soit sa qualité ;

-   Il doit être matériel « pretium materiae », c'est-à-dire que la décision attaqué doit porter atteinte à un patrimoine individuel (cf. CS/CA, jugement n°30 du 31 mars 1971, Mboka Tongo Guillaume c/Etat du Cameroun) ou à ses sentiments (CFJ/AP, arrêt n° 10 du 16 mars 1967, dame Kwédi Eyoum Augustine c/Etat du Cameroun) ;

-   Il doit être certain, en ce sens qu’il se fonde sur un préjudice réellement établi et non supposé ;

-   Il doit être actuel, en ce sens que le préjudice est établi au moment où l’acte querellé est pris et non découler d’une situation passée ou à venir.

2-      L’intérêt à agir des personnes morales

L’intérêt à agir est collectif lorsque l’acte litigieux concerne les personnes morales telles que les associations, même non déclarées (cf. CS/CA, jugement n° 8 du 29 novembre 1979, Elites Banka représentées par Mbouendeu Jean de Dieu c/Etat du Cameroun), ou dissoutes (CF/CAY, arrêt n°178 du 28 mars 1972 ? Mouelle Kouala Eteil c/Etat du Cameroun) et les syndicats (TE, arrêt n°261 du 12 août 1963, Syndicat national des administrateurs civils c/Etat du Cameroun).

L’intérêt à agir des personnes morales doit :

-   être spécial, en ce sens que l’acte attaqué porte atteinte aux intérêts collectifs correspondant à leur objet social (CE, 28 avril 1958, association des élèves et anciens élèves de l’ENA) ;

-   consister, soit en la défense d’un intérêt collectif, soit en la défense de l’intérêt particulier de l’un ou de plusieurs membres (CE, 28 décembre 1906, syndicat des Patrons Coiffeurs de Limoges).

B-    La qualité pour agir

Il faudrait distinguer l’intérêt de la qualité pour agir (1) avant d’apprécier les effets liés au défaut de qualité (2).

1-      Distribution entre intérêt et qualité pour agir

-   Alors que l’intérêt à agir se rapporte au droit lésé, la qualité est le titre juridique dont se prévaut le requérant pour déférer au juge l’acte litigieux. (Arrêt n°188/CFJ/CAY du 28 mars 1972, Wambo Télesphore).

-   La qualité complète l’intérêt pour fonder l’action en justice du requérant, mais ne doit pas se confondre à celui-ci (cf. CCA Arrêt n°115/CCA du 06 août 1952, Um Nyobè Abbé Melone).

2-      Effet lié au défaut de qualité à agir

Le défaut de qualité constitue un motif d’irrecevabilité du recours (TE, 8 mars 1963, Sieur Olle Mathieu et Engamba Emil c/Etat du Cameroun).

En définitive, le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif parce que le requérant demande au juge de défendre le droit vérifiant si une règle a été méconnue. Il statue sur des moyens tirés de la violation du droit objectif : violation d’une norme constitutionnelle.

Selon le professeur René Chapuis, c’est un recours d’utilité publique car la légalité étant un droit de tous, il est d’intérêt général qu’elle soit respectée. Le recours pour excès de pouvoir peut donc être exercé par le plus grand nombre de personnes possible et contre le plus grand nombre de décisions administratives possibles.

II-  Le non respect de deux conditions est sanctionné par une irrecevabilité, d’ordre public, du recours pour excès de pouvoir

A-    La sanction de principes : l’irrecevabilité du recours en la forme

En cas de respect de toutes les conditions de recevabilité ainsi que de la condition de compétence, le juge administratif saisi, déclare le recours recevable, puis procéde à l’examen au fond pour dire si l’acte litigieux est illégal et l’annuler ou établir le mal-fondé du recours et confirmer la légalité de l’acte attaqué. En cas de non respect des deux conditions d’intérêt pour agir et de qualité du requérant, la sanction inévitable est celle de l’irrecevabilité du recours. Cette irrecevabilité est d’ordre public.

1-                     L’irrecevabilité invoqué par l’adversaire du requérant : le défendeur. C’est la solution dominante.

2-                     L’irrecevabilité relevée d’office par le juge (comme en matière de conpétence).

B-    L’appréciation par le juge administratif de la qualité et de l’intérêt pour agir

1-      Une conception traditionnellement rigide des notions de qualité et intérêt à agir

-   si la doctrine considère que la notion d’intérêt pour agir est entendue plutôt largement ; il apparait que le juge sait la borner avec une certaine sévérité.

-   Le juge administratif recherche la qualité dont le requérant peut se prévaloir à l’égard de l’acte qu’il attaque et dans laquelle mesure cette qualité lui donne intérêt pour agir contre cet acte. Par exemple, le contribuable communal dispose d’une qualité lui donnant intérêt à agir contre les décisions qui engagent les finances communales ; la qualité de voisin de terrain d’assiette d’un projet immobilier confère qualité pour attaquer le permis de conduire ;

-   Le juge considère que le REP n’est pas une action populaire ouverte à n’importe qui.

2-      Une extension progressive des notions d’intérêt et de qualité à agir

 

Le juge administratif a estimé que la qualité de candidat était à elle seule suffisante, et suffisante aussi celle du parti qui a investi la liste pour déclarer recevable le recours en annulation des résultats dans un bureau de vote (CS/CA, jugement n°56 du 18 juillet 1996, PAP et commune rurale de Ngambe c/Etat du Cameroun).

Le juge considère que la seule qualité d’électeur dans une commune était suffisante pour déclarer recevable le recours formé par ce dernier (CS/jugement n°59 du 18 juillet 1996 ; Epalle Roger Delors c/Etat du Cameroun).

Le juge a estimé que la qualité de contribution communale était suffisante pour justifier de l’intérêt à agir (cf. 21 mars, 1901 Casanova).